Discours prononcé à la radio de Londres adressé aux Canadiens français - 1er août 1940

Je n’éprouve aucun embarras à vous parler, car je veux vous parler de la France et je sais que personne au monde ne peut comprendre la chose française mieux que les Canadiens français.

Je ne vous énumérerai pas nos erreurs militaires, morales, nationales. Le soldat, le catholique, le Français qui vous parle les connaît et les reconnaît. Pensez seulement qu’aucune nation dans le monde n’avait subi, supporté, accepté des sacrifices pareils aux sacrifices qui furent subis, supportés, acceptés par nous de 1914 à 1918. Les Français étaient morts en masse sur les champs de bataille et ceux-là étaient les meilleurs. En sont témoins les Canadiens enfouis dans la même terre.

Mais des conquérants se sont dressés, dont le triste génie exploite implacablement les erreurs des autres.

Nos propres fautes, celles de nos Alliés, ont fait que ces conquérants ont vaincu l’armée française.

Alors, parmi les dirigeants, une affreuse conjuration de panique a livré à l’ennemi nos armes, notre indépendance et jusqu’à la possibilité de penser librement en Français.

Maintenant la France est à reconquérir. Après quoi elle sera à refaire et c’est pourquoi l’âme de la France cherche et appelle à travers l’univers ceux qui savent ce qu’elle est, ce qu’elle veut, tout ce que, siècle après siècle, elle a su faire pour les autres.

L’âme de la France cherche et appelle votre secours, à vous, Canadiens français.

Votre secours, elle le cherche et l’appelle, parce qu’elle sait qui vous êtes. Elle sait quel élément vous formez dans le pays, dans le peuple, dans l’État auxquels vous appartenez. Dans ce pays, dans ce peuple, dans cet État qui montent, elle connaît tout ce qu’il y a de puissance et d’espérance.

L’âme de la France cherche et appelle votre secours parce qu’elle mesure votre rôle et votre importance à l’intérieur de l’Empire britannique qui, aujourd’hui, soutient presque seul la cause de ce qui veut être libre. Votre secours, l’âme de la France le cherche et l’appelle, parce que le destin a fait du Canada la terre d’union de l’Ancien et du Nouveau monde. Or, dans cette guerre mondiale, aucun homme de bon sens ne tient pour possible la victoire de la liberté sans le concours du continent américain.

Enfin, l’âme de la France cherche et appelle votre secours, parce qu’elle trouve dans votre exemple de quoi ranimer son espérance en l’avenir. Puisque, par vous, un rameau de la vieille souche française est devenu un arbre magnifique, la France, après ses grandes douleurs, la France, après la grande victoire, saura vouloir et saura croire.

Canadiens français! Recevez le salut confiant d’un soldat français, à qui pour l’instant incombe le grand devoir de parler seul au nom de la France.

Source : Charles de Gaulle, Discours et messages, T.1, Paris, Plon, 1970, pp 20-21.