En 2017, le Comité du 50e a lancé un appel au public et sollicité des acteurs impliqués dans l’organisation de la visite du général de Gaulle en 1967 à témoigner de leur expérience. Les citations qui suivent entremêlent des témoignages de l’époque, essentiellement des lettres ouvertes publiées dans les journaux du Québec, avec les témoignages que le Comité du 50e a reccueillis. Ainsi, les souvenirs d’hier et d’aujourd’hui sur cet évènement qui a marqué les consciences se font écho et se répondent.
François-Albert Angers
Moment historique donc, sans conteste! Une des trois grandes dates heureuses ou malheureuses de notre histoire : 1608, 1760, 1967! Car ne plus être seuls, avoir l’appui réel d’une Grande Puissance (…), c’est non seulement notre reconnaissance comme nation, mais notre entrée dans le concert des nations. Et d’un jour à l’autre, du 22 au 24 juillet 1967, tout se trouve changé dans notre histoire.
—L’Action nationale, septembre 1967, p. 5
En cette année du Centenaire, le Général de Gaulle a, en définitive, sauvé l’honneur même du Canada français (…) L’année du Centenaire allait se terminer dans l’équivoque d’une non-réaction évidente du Canada français, en dépit d’une froideur certaine mais couverte par les gloires de l’Expo et les affirmations officielles (…) Le Général de Gaulle a été le chef grâce à qui le peuple a pu exprimer ce que ses chefs naturels l’empêchaient de dire.
— L’Action nationale, octobre 1967, p. 177
Ginette Bertrand
J’en ai encore des frissons! La visite du général de Gaulle fut un des grands moments de ma vie. Fraîchement convertie au RIN, j’habitais Trois-Rivières à l’époque et pour rien au monde je n’aurais manqué le passage du général. Mon homme et moi étions aux premières lignes et le délire était contagieux. Étant dans l’impossibilité de suivre le cortège jusqu’à Montréal, nous sommes restés vissés devant la télé. Lorsqu’il a dit « Vive Montréal… Vive le Québec… », nous nous sommes regardés, incrédules, puis ce fut le coup de tonnerre : « Il l’a dit! Il l’a dit! ». Complètement sonnés, nous pleurions de joie. Le téléphone n’a pas dérougi de la nuit. À sept heures du matin, il n’y avait plus un journal à vendre dans toute la ville. Ça fait 40 ans de cela et j’ai changé d’allégeance depuis, mais chaque fois qu’on repasse la bande à la télé, j’en ai encore des frissons.
Huit ans plus tard, un autre coup de tonnerre éclatait. Le PQ remportait les élections. Allégresse indicible, espoir fou et « à partir d’aujourd’hui, on bâtit ». Puis, en 1980, une question anodine et décevante, précédée d’un préambule imbuvable recevait un « non » retentissant. On nous avait, comme dans une autre chanson, « monté un beau grand bateau » et « fait faire de bien grandes vagues », pour en arriver là. Rien n’a plus jamais été pareil ensuite. Le momentum a pris une débarque et le pays à bâtir est devenu une vue de l’esprit ».
— Retranscription d’une vidéo, 21 juillet 2007
Carol Boucher
J'ai installé avec deux autres confrères (monteurs de lignes) des pancartes sur les poteaux (Hydro Québec) représentant par alternance les drapeaux de la France et du Fleurdelisé à partir de pont Le Gardeur jusqu'à l'Hôtel de ville de Montréal, en passant par la rue Notre-Dame, pour ensuite continuer sur la rue Sherbrooke et terminer à l'hôtel-de-Ville. Nous étions alors des employés de la compagnie Les Développement du Nord-Est, sous-traitant pour le compte d’Hydro-Québec.
— 6 juillet 2017
Jean-Luc Dion, ingénieur retraité
Le 24 juillet 1967, j'ai eu le plaisir d'entendre le Président de Gaulle dans la cour du Séminaire Saint-Joseph lors de son arrêt à Trois-Rivières. J'ai alors pu prendre une bonne photo le montrant debout dans une automobile en compagnie du Premier Ministre Johnson à son arrivée. Je joins cette photo mémorable.
— 12 juillet 2017
Claude-Lyse Gagnon
Je ne croyais jamais être à ce point bouleversée, ravie, passionnée, tremblante devant la présence du général de Gaulle au Québec. Je pensais regarder un grand homme ayant vécu ce siècle en soldat, en chef politique, en meneur d’hommes. J’allais voir un personnage prestigieux de l’histoire, le président de la France, d’une France, me semblait-il, lointaine.
C’est en entendant, et seulement à la télé d’abord, les Québécois de Québec chanter La Marseillaise, que l’envoûtement a commencé. Je la chantais en moi, sachant chaque mot, chaque musique du plus loin de mon enfance, comme j’appris alors de vieilles chansons d’Alsace et de Lorraine, d’enfants français tués par les Allemands, comme j’appris la géographie en partant de St-Malo pour accoster à Gaspé, comme j’appris l’histoire en commençant par Pépin le Bref et Berthe au grand pied.
J’eus la gorge nouée et quand le général parla, le cœur content. Tous mes ancêtres en moi jubilaient. Simon qui aimait les discours, Omer le farceur, Marcel qui jouait du latin, Louise qui appréciait le panache, Louis qui humait le vin des vignes et le vin des mots. Pacifique qui lisait Musset, Martin qui prisa l’audace, Pierre qui en voulait aux Anglais. Il leur faisait plaisir, le général…
Gorge nouée puis cœur battant, puis grands rires! Ah! la belle fête. Le vieux chemin pavoisé, Ottawa à la lanterne, tout le monde dehors, les fanfares aussi, la fierté en tête, les peines oubliées. Ah! le bel été que voilà, que voici. C’est avoir l’esprit gaulois et fort québécois que d’aimer celui qui ne craint ni le voisin ni le monde mais aime les siens. Elle nous plait bien l’indépendance du Général et c’était nous charmer, nous séduire que d’arriver d’abord à Québec droit comme un mât de goélette, rebelle comme pas un (...)
Nous nous en souviendrons longtemps du fameux Général! Nous en parlerons, causerons, jaserons l’été, l’hiver. La main sur le cœur.
Ah! s’il fallait qu’il reste un mois!
— Claude-Lyse Gagnon, journaliste, « Le Grand Charles, on s’en rappellera », La Patrie, 30 juillet 1967, p. 2
Yves Gauthier — LE GÉNÉRAL
Comme un père prodigue,
Tu es revenu deux siècles plus tard,
Parler au nom de la mère repentante
Qui nous avait abandonnés,
Comme on se débarrasse de l'enfant illégitime,
Sur les eaux sauvages d'un fleuve nouveau.Tu as vu que nous avions changé,;
Tu as vu que nous avions grandi,
Tu as vu que nous nous étions bâtis,
Tu as vu notre espoir.Ton cri nous a émus profondément,
Car pour un peuple dominé,
Il n'est rien de plus touchant,
Qu'un appel à la liberté.Ô toi, grand homme grand,
Tu as su viser juste et droit.
Aujourd'hui, tout comme toi,
Des milliers de Québécois
Se joignent à ta voix
Pour crier sans sourciller:VIVE LE QUÉBEC LIBRE !
— Poème de M. Yves Gauthier, écrit pour l’occasion de la visite du général
Denise Laroche
En 1967, je correspondais avec un jeune Français. Lors du voyage du général de Gaulle, il faisait partie de l'équipage d'un navire escorteur du Colbert. Le 24 juillet, il a pu me rendre visite chez mes parents, à Brossard. Il portait son uniforme blanc de marin. Nous avons regardé en groupe le discours du balcon à la télévision (en noir et blanc). Le général de Gaulle a réussi à étonner tout le monde à cette occasion. En souvenir de sa visite, ce marin m'a remis un pompon qui se portait sur le béret de son uniforme. Je l'ai gardé. Il est intact. Je l'ai pris en photo récemment.
— 14 juillet 2017
André Magny
J'avais 11 ans en 1967. J'habitais alors à Montréal. Mon père était un fervent admirateur du Général de Gaulle. Il m'avait amené voir le général alors que son cortège devait passer le long de la rue Sherbrooke. J'étais grimpé sur les épaules de mon père. Je me rappelle très bien avoir vu le général dans l'auto décapotable qui le transportait, lui, ainsi que le premier ministre Johnson. C'était la joie à son approche. La foule trépignait. Le soir, lors de la transmission de son discours à la télévision de Radio-Canada, mon père, qui est aussi - hélas ! - fédéraliste, a laissé tomber en entendant le fantastique "Vive le Québec libre !" : "Là, il vient de faire une erreur..." Mais moi, à partir de ce moment-là, j'ai senti qu'il se passait quelque chose au pays du Québec. Je deviendrai indépendantiste 3 ans plus tard au moment de la Crise d'octobre. Cinquante ans plus tard, j'ai encore des frissons quand j'entends le célèbre discours. Et parfois de la rage au cœur quand je vois mon peuple ne pas avoir eu le courage de devenir indépendant quand deux fois ils avaient la chance de le faire en 1980 et 1995. Désolant. Mais il est toujours temps.
— 12 juillet 2017
Claude Morin — UN MESSAGE D’ESPOIR
Je ne m’y attendais pas. Ni personne d’autre.
Le 24 juillet 1967, j’étais parmi les invités à l’hôtel de ville de Montréal, pas très loin derrière de Gaulle qui, du célèbre balcon, s’adressait à la foule massée sur la place devant lui. Voilà soudain qu’au terme de son allocution, je l’entends s’écrier « Vive le Québec libre ! ».
Difficile de décrire le sentiment que j’éprouvai sur le coup. Surprise, évidemment. Fierté patriotique certes. Et forcément, en raison de mes fonctions, interrogations rapides sur la portée politique encore imprévisible de cette déclaration. Je me souviens en tout cas avoir un instant souri en mon for intérieur, pensant à la tête que feraient les interlocuteurs fédéraux avec qui je m’étais disputé les mois précédents à propos de la visite du président français : ils auraient souhaité en contrôler la forme et le contenu du début à la fin.
Mais contrôler de Gaulle, le plus prestigieux des personnages politiques de l’époque ? Surtout que ce personnage avait depuis le début décidé de marquer par un coup d’éclat on passage au Québec. D’en faire un événement historique.
Pour minimiser l’affaire, pour l’effacer si possible, les défenseurs du statu quo, les establishments partisans et les thuriféraires du régime entreprirent par la suite d’accréditer l’idée que les paroles du général avait dépassé sa pensée. Que ses hôtes québécois l’avaient induit en erreur. Et, pourquoi pas, qu’à son âge avancé il avait en quelque sorte commis une erreur de vocabulaire…!
Eh bien non, on le sait aujourd’hui depuis longtemps, de Gaulle s’est servi des mots qu’il avait de longue date sciemment choisis. Il a transmis le message d’espoir qu’il tenait à lancer. Il a révélé au monde entier l’existence, au Québec, d’une nation distincte. Il a rappelé aux Québécois qu’ils étaient libres de choisir leur voie et capables, s’ils le voulaient un jour, de prendre leur avenir en main.
— 12 juillet 2017
Jacques-Yvan Morin
Il est extrêmement rare que le monde puisse être saisi d’un problème comme celui du Québec par le geste pacifique d’un seul homme.
— Revue Espoir, 1975
Muguette Paillé
Vous le savez peut-être déjà mais de Gaulle avait dit sa phrase célèbre dans le parc du Tricentenaire à Louiseville avant de la répéter à l'hôtel de ville de Montréal. Cela a fait beaucoup plus de vagues dans la métropole que dans la petite ville voisine de mon village natal mais je souviens quand même toute l'effervescence, l'excitation qu'il y avait dans la ville lumière car c'est ainsi qu'on surnommait Louiseville à l'époque. Mes salutations et bonne commémoration!
— 4 juillet 2017
Madame Untel
Le général de Gaulle parle en vrai Gaulois. C’est franc, c’est clair, c’est net. Et moi j’applaudis et je vibre. Car il nous arrive une chose extraordinaire : le plus grand Français de ce siècle est parmi nous et nous nous découvrons soudain : nous n’avions rien oublié, trois cents ans d’histoire étaient en nous, intacts, vivants, prêts à pousser de nouvelles racines, de nouvelles feuilles.
C’est merveilleux. Car, ce qui me frappe, c’est que cet accueil est spontané, il vient du cœur. C’est que peut-être aussi le général parle avec son cœur. Et puis il ne mâche pas ses mots. Il sait ce qu’il dit, les mots qu’il emploie n’ont pas été choisis au hasard : ils ont un sens, une prédestination.
Soyons nous-mêmes, soyez vous-mêmes, cela veut tout dire. Ah! Ce n’est pas facile, mais à écouter de Gaulle, rien ne semble impossible (…).
Je ne me lasse pas d’entendre ce grand homme. Jamais les Canadiens français ou les « Français canadiens » auront été secoués de telle façon. Mais entre moi et vous, c’était peut-être le temps ou jamais ». (« Ce qu’en pense ma voisine », chronique signée par Madame Untel)
— Montréal-Matin, 25 juillet 1967
Claude Verreault
1967: Charles de Gaulle s'amène au Québec. Avant de prononcer son célèbre "Vive le Québec libre!" sur le balcon de l'hôtel de ville de Montréal, le général s'était rendu sur la Côte-de-Beaupré et il est passé par Château-Richer, où les citoyens n'avaient rien ménagé pour attirer son attention: rien de moins qu'une tour Eiffel pour l'accueillir. Je n'avais que15 ans, mais j'en garde un souvenir extrêmement vivant. Le tour avait été érigée sur l'avenue Royale, en face de l'hôtel de ville et au pied de l'église.
Photo fournie par le Centre de généalogie Château-Richer
— 5 juillet 2017
Témoignage anonyme
Je me souviens d’être en congé et d’avoir écouté la radio ou la TV qui couvrait son parcours le long du chemin du roi et d’avoir été surprise et ravis de l’ampleur de l’accueil qui l’attendait dans les municipalités ou il devait aller. Cet accueil s’est intensifié jusqu’au moment cumulatif à l’hôtel de ville où il a crié son fameux vivre le Québec libre. L’ampleur du cri de joie de la foule semblait témoigner une reconnaissance inouïe envers le général d’avoir exprimé tout haut le désir des séparatistes à vouloir bâtir un pays. À l’époque on disait les séparatistes et non les indépendantistes. On aurait dit une star. C’était drôle d’entendre les gens chantés ce n’est qu’un au revoir de Gaulle à cette personne si connu à travers le monde. On ressentait un appui, un espoir. C’était un autre temps. Une fièvre qui n’est plus présente. Cependant, je crois que cette flamme peut être ravivée pas en regrettant les bons moments du passé, mais en prenant le temps, en ce moment présent, de se pencher sur ce qu’on nous voulons vraiment pour le peuple québécois en termes de valeurs profondes afin de se créer un Québec issu d’une vision éclairée. C’est une nouvelle société à construire.
— 5 juillet 2017