Discours prononcé devant l'édifice du parlement à Ottawa - 11 juillet 1944

L’accueil émouvant que vous voulez bien me faire me semble procéder d’une double inspiration. Sans doute entendez-vous d’abord témoigner de cette solidarité réconfortante qui unit dans le monde, par-dessus les frontières, les océans et les continents, les hommes qui luttent ensemble pour la liberté. Sans doute aussi avez-vous jugé bon de marquer qu’ici la France ne fut, n’est, et ne sera jamais oubliée.

Eh bien! Messieurs, je viens attester parmi vous que le Canada est, pour la France, un ami plus cher que jamais.

Certes, le passé compte pour une large part dans cette mutuelle sympathie. D’une part, votre peuple qui, dans aucun évènement de l’Histoire, ne s’est opposé au nôtre, votre peuple où les hommes ont, de tout temps, ouvert leur intelligence et leur cœur aux idées et aux sentiments qui s’élevaient de l’âme française, votre peuple, où dans les veines de beaucoup coule un sang qui vient de France, d’autre part, mon pays, qui se souvient d’avoir le premier apporté la civilisation chrétienne et européenne sur ces terres immenses, mon pays qui n’a jamais cessé de suivre et d’admirer l’effort magnifique de vos pères et le vôtre pour arracher à la nature la prospérité humaine, pour développer les esprits aux points de vue intellectuel, spirituel et moral, pour créer enfin un État uni dans la conscience de sa valeur propre et dans la fidélité au Commonwealth dont il fait partie, votre peuple et mon pays, que de liens puissants les relient à travers le temps!

Rien n’a paru plus naturel à la vieille France que de voir combattre sur son sol pour la même cause, dans la précédente guerre mondiale, les soldats du Canada et d’ensevelir pieusement dans sa terre tous ceux dont le monument de Vimy symbolise l’héroïque mémoire. Et, permettez-moi de dire que rien n’a paru plus émouvant à l’homme qui a l’honneur de vous parler que de voir récemment en Italie les troupes du Corps canadien engagées sur les rives du Liri, côte à côte avec l’armée française, ou de trouver d’abord sur la plage de Normandie où il prenait pied au début de la grande bataille, un beau et brave régiment canadien.

Mais, Messieurs, si le passé comporte pour la France et le Canada tant de raisons particulières de se comprendre, je dis bien haut que le présent y a beaucoup ajouté : ce sont les mauvais jours qui font les preuves de l’amitié! Or la France aura pendant ces dures années, traversé de bien mauvais jours! Submergée par l’ennemi, stupéfiée par le désastre, trahie ou trompée par ceux qui s’étaient saisis de l’État et qui n’usaient de leurs pouvoirs ou de leur réputation que pour la jeter et la maintenir dans la honte de l’abaissement, la France a pu, quelque temps, offrir aux observateurs malveillants ou superficiels les apparences d’une de ces chutes dont une nation ne se relève pas lorsqu’elle y a consenti. Mais d’autres, mieux avertis parce qu’ils étaient plus favorables, ont eu vite fait de discerner que mon pays, dans ses profondeurs, refusait de s’abandonner. Ceux-là ont compris bientôt que la volonté, l’espérance, l’âme du peuple français demeuraient fermement du côté de ceux qui refusaient d’abaisser le drapeau et qui prétendaient maintenir coûte que coûte leur patrie dans le camp de la liberté.