Allocution au maire de Montréal lors du déjeuner offert par la ville - 21 avril 1960

Monsieur le Maire,

Avant tout, je veux vous remercier, et vos paroles trop aimables, en ce qui me concerne, m’ont touché. Un homme qui passe ne peut qu’être sensible aux mots que vous avez dit. Il est sensible surtout, permettez-moi de l’ajouter, à ce que vous avez dit de la France, et particulièrement au fait que vous avez bien voulu considérer que ce qui a pu être fait par moi-même, c’est à la France que cela est dû. Bien des choses sont dues à la France, et si j’avais besoin de trouver une preuve de plus de son œuvre, vous me l’auriez apportée aujourd’hui, à Montréal, dans mon rapide passage, les contacts que j’ai pu avoir avec les personnalités d’ici, avec vous, monsieur le maire, qui avez bien voulu m’accompagner de bout en bout, dans mes déplacements émouvants, avec votre Éminence – si le cardinal Léger veut bien me permettre de le lui dire – avec beaucoup d’autres, et aussi le sentiment qui a été exprimé d’une manière si frappante, si chaleureuse, par le peuple de Montréal. Tout cela, donc, ce sont des preuves du crédit que la France a ici. Je veux dire l’attachement qu’on lui porte. Ces preuves, je les ai recueillies et j’irai les lui porter.

Je tiens à vous dire l’impression en quittant la Province – laissez-moi dire le Canada français – l’impression dominante que j’aurai éprouvée; je disais hier à Québec, je vous le répète aujourd’hui, c’est l’impression d’une réussite. Vous avez trouvé moyen, non seulement de maîtriser la Nature, qui est rude et dure, du Canada, dans cette région. Mais vous avez trouvé le moyen de vous accorder, de travailler au mieux-être matériel et moral de toutes et de tous. Vous avez eu à surmonter, pour le faire, beaucoup de difficultés, dont les principales – je le crois – étaient les vôtres, celles que vous avez au-dedans de vous-mêmes, car les Français d’origine, ou qu’ils soient, ce qui est leur principal obstacle quand ils doivent agir, ce sont généralement celles qu’ils se suscitent les uns aux autres.

Il est merveilleux, Canadiens français, que vous ayez surmonté cela. C’est ce qui vous a permis d’être ce que vous êtes, et ce que vous êtes est très important, pour le Canada bien entendu, pour la France aussi… et j’ajoute, pour le monde, car il est essentiel, vous le savez tous, qu’il y ait sur cet immense continent américain, une réalité française vivante, une pensée française, qui dure, qui est indispensable pour que tout ne se confonde pas dans une sorte d’uniformité. Il a fallu qu’il y eût votre flamme, vous l’avez entretenue, elle brûle, je vous en félicite. Je vous en remercie aussi pour la France, car elle le sait. Elle vous regarde, croyez-moi, souvent. Elle sait, par exemple, et elle regarde ce qui se passe en ce moment même entre vous et moi et, pour elle, c’est un réconfort essentiel. Elle a besoin de sentir et de savoir que son rayonnement s’étend, qu’elle trouve des échos, des appuis partout et qu’elle en trouve principalement chez ceux qui viennent d’elle-même. Je vous remercie de cela également pour elle.

Nous sommes à une époque où le monde est dur. Il y a un grand combat sur notre terre, ce grand combat, c’est entre la liberté et le contraire. La France, bien sûr, est une fois de plus un champion de la liberté. Elle l’est dans tous ses actes, je le crois, et tant mieux pour la liberté. Si elle recouvre ses forces à tous égards et, en effet, comme le disait monsieur le maire, et je l’atteste, elle les recouvre, vous pouvez compter sur elle, Canadiens, Canadiens français, vous pouvez compter sur elle dans le combat qui va s’engager. Elle compte sur vous pour penser à elle, pour la suivre, et pour l’appuyer, par tous les moyens, directs ou indirects, que les hommes libres ont aujourd’hui de faire connaître ce qu’ils pensent.

Voilà ce que je dis à Montréal, au moment où je m’apprête à quitter la province et bientôt, demain, le Canada. Tout ce que j’en recueille aura été émouvant et m’aura été émouvant et m’aura été utile, et c’est ici, à Montréal, dans cette ville que votre ancien maire, que je rencontrais en 1944 ici, appelait, et je l’ai rappelé tout à l’heure à l’hôtel de ville, la deuxième ville française du monde, et c’est ici que j’ai voulu le dire.

Vive Montréal!
Vive le Canada!
Vive la France!

Source : Le Devoir, 22 avril 1960.