Discours prononcé à Petit-Cap lors du déjeuner champêtre offert par les autorités du Séminaire de Québec et de l’Université Laval - 23 juillet 1967

Éminence, laissez-moi vous dire qu’il n’y a rien qui peut être plus émouvant pour celui qui vous parle, que le rapprochement que vous venez de faire entre cette volonté française qui a été manifestée ici d’une manière si pénible et en même temps si magnifique pendant tant de temps, au milieu de tant de difficultés, au prix de tant de mérites et grâce à tant d’effort : entre cette œuvre française-là et celle qui a consisté à rassembler les premiers éléments de la résistance aux pires moments de la vie de notre patrie.

Il n’y a rien aussi qui soit plus réconfortant, car cela indique pour nous Français, où que nous soyons, à quelque époque que nous soyons, pour peu que nous le voulions, nous pouvons survivre, nous pouvons même donner l’exemple et rien ne le montre mieux que ce que je vois et ce que je sais du Québec. Ici, en effet, entre Français que vous êtes et voulant le rester, comme vous le dites si bien, Éminence, ici vous donnez l’exemple – vous donnez l’exemple d’abord d’une personnalité bien affirmée, d’une cohésion certaine, d’une grande capacité populaire, car c’est cela qui me frappe chez vous. Ce que vous valez vous vient de la base et c’est sur cette base sur laquelle vous vous êtes construits, que s’élève maintenant votre Église. Et de même que l’Église a été essentielle dans le maintien de cette personnalité dont je vous parle, de même joue-t-elle un rôle capital aujourd’hui pour former l’élite dont vous avez besoin et qui se crée.

Où est-ce que je pourrais le dire d’une manière qu’ici? Vous avez si bien rappelé, Éminence, que c’est du Séminaire de Québec qu’est sortie l’Université Laval, que c’est de l’Université Laval qu’est sortie l’Université de Montréal et que c’est de ces universités-là que sort, chaque année, la phalange de vos professeurs, de vos ingénieurs, de vos techniciens, de vos savants d’aujourd’hui et de demain.

Vous donnez l’exemple. Vous le donnez à la France car il est important pour le vieux pays, de voir un morceau de son peuple réussir aussi bien et dans de telles conditions. Vous donnez l’exemple aussi à l’Amérique, vous le donnez au Canada et aux voisins du Canada, vous le donnez et il porte, nous le savons.

L’essentiel pour vous, c’est de rester vous-mêmes, de ne pas vous dissoudre car dans l’hypothèse où vous vous laisseriez faire, cette valeur que vous avez, cet exemple que vous donnez auraient tôt fait de se diluer et de disparaître. Vous avez une tâche à remplir, demain, comme vous l’avez eue hier, comme vous l’avez aujourd’hui, une tâche qui est la vôtre, qui est à vous.

C’est avec une émotion profonde que je salue ces lieux qui sont si pleins de souvenir et d’où sont parties tant de choses. Et je suis très honoré, croyez-le bien, d’avoir été reçu aujourd’hui avec ceux qui m’accompagnent. Je n’aurai garde de méconnaitre de vous remercier, Monseigneur, de votre accueil et par-dessus tout, si vous le voulez bien, nous portons nos pensées sur ce qui nous est commun là où nous sommes, dans ce que nous faisons, dans ce que nous parlons, dans ce que nous voulons, ce qui nous est commun, je veux dire ce qui est français.

Source : Renée Lescop, Le pari québécois du général de Gaulle, Montréal, Boréal Express, 1981, pp. 156-157.