Discours à l’Université de Montréal - 26 juillet 1967

Monsieur le Recteur,

Les émouvantes paroles que vous venez de m’adresser dans cette enceinte de l’université de Montréal ont, pour moi, le plus grand prix. Nulle part, en effet, il n’apparaît plus clairement que le grand souffle intellectuel, moral et social d’inspiration et d’action que, depuis tant de siècles, l’esprit français répand sur le monde est, en ces temps nouveaux, plus vivant et puissant que jamais.

Il est vrai qu’à ce souffle et à cet esprit vous tous ici, n’avez jamais cessé d’être admirablement fidèles. Au milieu de quelles difficultés, au prix de quels efforts, en vertu de quels mérites, la France le sait et vous en remercie. Depuis deux cents ans, pour garder aux Français canadiens leur langue, leur foi, leur âme, tandis qu’ils augmentaient leur nombre jusqu’à le multiplier par cent, vos écoles se sont prodiguées et développées en conséquence. Mais il fallait que l’essor fut porté au plus haut, je veux dire au niveau de l’enseignement supérieur, afin d’embrasser entièrement les dimensions de votre croissance. Après que, voici plus d’un siècle, se fut ouverte à Québec l’université Laval, celle de Montréal, sa fille, fut donc fondée 26 ans plus tard et assuma à son tour, au plan le plus élevé de la philosophie, des lettres et de la science, la mission de maintenir et de faire valoir la culture française qui, autrement, se serait trouvée peu à peu submergée par une autre.

Ainsi furent sauvegardées, au Canada, des valeurs inappréciables, jusqu’au jour où l’immense développement scientifique et technique de ce siècle élargit soudain, chez vous comme partout, les champs de la recherche, de l’application et de l’enseignement. En même temps, l’activité économique continuellement renouvelée et accélérée ainsi que la profonde et rapide transformation sociale qui vous entourent déterminent votre université à former en nombre sans cesse grandissant des savants, des cadres, des ingénieurs, alors que, pendant longtemps, les Français canadiens les avaient reçus d’ailleurs. En dix ans vous êtes donc passés de 5.000 à 16.000 étudiants. Dans cinq ans, vous en aurez 25.000. D’ores et déjà vous voici, avec vos treize facultés, vos instituts, vos écoles d’enseignement supérieur, vos dizaines de collèges affiliés, ayant brisé les anciennes cloisons et adopté maintes disciplines nouvelles, en voie d’atteindre votre but qui consiste, n’est-il pas vrai?, à fournir à la fraction canadienne du peuple français les jeunes valeurs nombreuses et diversifiées que requièrent à la fois son désir et son avenir.

Oui! son désir et son avenir. Dans ce pays si vaste et si neuf, rempli de moyens en pleine action et de ressources encore inconnues, voisin d’un État colossal et dont les dimensions mêmes peuvent mettre en cause votre propre entité, se lève et grossit la vague d’un développement moderne dont vous voulez qu’il soit le vôtre. C’est par vous, c’est pour vous que, chez vous, doit être fait ce qu’il faut : capter et distribuer les sources de l’énergie, créer des industries nouvelles, rationaliser les cultures, bâtir d’innombrables maisons, barrer ou combler des fleuves, multiplier les autoroutes, faire circuler le métro, construire des palais pour les arts et les sciences. Cette ambition et cette action sont pour les Français d’ici, comme pour ceux de France, essentielles à leur destinée parce que celle-ci ne peut être que le progrès ou bien le déclin.

Rien n’est donc plus naturel et, en même temps plus salutaire, que les liens de plus en plus étroits qui s’établissent entre toutes les branches de nos activités françaises de part et d’autre de l’Atlantique! Mais combien cela est vrai surtout pour nos universités, foyers de notre culture, c’est-à-dire de nos âmes, de nos espoirs, de notre rayonnement! Combien sont satisfaisants nos échanges croissants de maîtres, d’étudiants, de livres et d’informations, tels qu’ils sont organisés par les accords conclus entre le gouvernement de Québec et celui de Paris! Combien est significatif le fait que ce soit Montréal qui ait été le berceau de l’association des universités de langue française, dont, il y a quelques semaines, les recteurs sont venus de beaucoup de pays du monde, tout justement dans cette enceinte, réunis par la commune conception de la vie et des rapports humains qui est la nôtre et qu’exprime notre langue!

Or, au milieu des bouleversements qui ont déjà marqué le siècle et devant ceux qu’il pressent, ce grand et libre ensemble d’intelligence, de raison et de sentiment est nécessaire au progrès et à l’équilibre du monde qui sont les conditions de la paix. Cet ensemble, pour nous tous, Français, que nous soyons du Canada ou bien de France, c’est notre mission séculaire de l’inspirer et de le servir. La part éminente qu’y prend l’université de Montréal est un signe décisif de ce que vaut et veut notre peuple.

Source : Jean Tainturier, De Gaulle au Québec. Le dossier des quatre jours, Montréal, Éditions du Jour, 1967.