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Condamné au Canada anglais et dans la presse internationale, le «Vive le Québec libre !» a divisé la classe politique au Québec. La visite du général de Gaulle aura toutefois eu pour conséquence de renforcer la coopération franco-québécoise, grâce à la signature d’une nouvelle entente bilatérale. Désireux de jouer un rôle plus important sur la scène internationale, le Québec profitera de l’appui de l’Hexagone pour intégrer les premières instances multilatérales de la Francophonie.
Au Québec, la population dressait un bilan plutôt positif du séjour du général de Gaulle. Dans un autre sondage réalisé en août 1967 dans les villes de Montréal, Québec et Trois-Rivières, 69,3% des personnes interrogées estimaient que de Gaulle avait eu raison de venir au Québec, contre 16,4% qui regrettaient son séjour au Canada [1]. Une enquête réalisée à la demande du Devoir, du Soleil et du Montréal Star rapporte que 58,7% des Québécois ont approuvé la visite du président français, et que 48% ont aimé le slogan «Vive le Québec libre». La moitié des répondants jugeaient qu’Ottawa avait eu une attitude trop dure [2].
Dans les milieux nationalistes, les critiques à l’égard du gouvernement fédéral sont nombreuses, à l’instar de Pierre Bourgault qui dénonce «l’hypocrisie extrême du monde anglo-saxon qui s’insurge aujourd’hui contre ce qu’il a toujours pratiqué avec ferveur, c’est-à-dire l’ingérence brutale dans nos affaires». Plusieurs lettres ouvertes et pétitions sont publiées dans les jours qui suivent. Le 29 juillet, un groupe de quarante-deux intellectuels, comprenant notamment Gaston Miron et Gérald Godin, publie dans Montréal-Matin une lettre ouverte condamnant «sans réserve les insultes proférées par le gouvernement fédéral pan-canadien d’Ottawa à l’endroit de notre invité le général de Gaulle», ajoutant qu’à l’heure où «le peuple du Québec est lancé irréversiblement sur la voie de la décolonisation, il n’est pas étonnant que les propos généreux et progressistes d’un président-décolonisateur aient provoqué la colère des anglophones fanatiques du Canada anglais, héritiers du pouvoir colonial britannique sur le Québec». Le 3 août, vingt-quatre professeurs de l’Université Laval signaient une tribune dans laquelle ils exprimaient leur souhait «de vivre un jour dans un pays où la raison et le cœur auront retrouvé leur droit et où parler de liberté ne sera plus occasion de scandale [3]».
Dans la presse, plusieurs éditorialistes apportent leur soutien au général de Gaulle, à l’instar de Jean-Marc Léger qui écrit que ces évènements ont permis de souligner «la situation particulière, les difficultés, les aspirations nouvelles» du Québec. «Pourquoi, au total, aurait-on voulu qu’il se fît complice du pieux mensonge qui entoure toujours les visites officielles, alors que les chefs d’État et de gouvernement parlent pour les dirigeants du pays visité et pour les chancelleries plutôt que pour le peuple ? [4]». Son collègue du Devoir, Claude Ryan se fera plus critique et, tout en déplorant «l’intransigeance» de la déclaration de Pearson, il note que «sur le plan des rapports entre la France et le Canada, la visite de De Gaulle se solde par un échec immédiat. Le président de la France a commis ici des impairs regrettables qu’il n’a pas jugé devoir corriger [5]».
Sur la scène politique, Daniel Johnson fait l’objet de vives critiques de la part de Jean Lesage qui l’accuse d’avoir influencé de Gaulle. Le 28 juillet, Lesage réunit les députés de son parti et fait adopter une motion qui condamne les «problèmes très aigus que l’incompétence incroyable de M. Daniel Johnson et sa soif de publicité auront laissés sur la route du général de Gaulle [6]». À la suite de ces propos, le député François Aquin annonce qu’il quitte le Parti libéral pour protester contre l’attitude son chef.
Le même jour, Daniel Johnson, resté jusque là silencieux, fait une déclaration dans laquelle il affirme son soutien aux propos exprimés par de Gaulle. «Courageux et lucide, le président de Gaulle a été avec nous au fond des choses. Le Québec n’en a pas été choqué. Percevant comme peu l’ont fait avant lui l’esprit de renouvellement qui anime le Québec, il a parlé d’affranchissement, de prise en main par le Québec de ses destinées, de Québec libre, il reprenait ainsi, en des termes qui lui sont propres, les idées maintes fois exprimées par les récents gouvernements du Québec. Il a salué cette conviction qui est de plus en plus celle du peuple québécois qu’il est libre de choisir sa destinée et que, comme tous les peuples du monde, il possède le droit incontestable de disposer de lui-même».
Daniel Johnson aura finalement tiré quelques gains de la visite du général de Gaulle. Malgré les turbulences apparues au sein l’Union nationale, celui qui faisait campagne un an plus tôt sur le thème de «l’égalité ou l’indépendance» s’imposait désormais comme le chef de file de la nation française d’Amérique, en plus de diminuer la légitimité des politiciens québécois fédéraux [7].
Le voyage du général de Gaulle a donc précipité la polarisation politique amorcée autour de la question nationale. À l’instar de François Aquin, René Lévesque quittera en octobre le Parti libéral pour fonder un nouveau mouvement, qui deviendra par la suite le Parti québécois.
Dans les jours qui suivent son retour prématuré du Canada, le général de Gaulle fait l’objet de virulentes critiques dans la presse hexagonale. «Du triomphe à l’échec» note un éditorialiste : «ce voyage au Canada se traduit donc par un triomphe de trois jours dans la province du Québec et un échec diplomatique. La "voie royale", en la circonstance, a pris l’aspect d’une impasse. [...] Ce qui devait être une visite de courtoisie se termine en retraite [8]». «Le bilan de ce triste périple est lourd», déplore un journaliste du Figaro : «les relations entre la France et le Canada compromises, l’amertume, la déception, la colère chez nos alliés atlantiques, une fois de plus cabrés. [...] C’est le cœur serré que, nous adressant à celui à qui la France doit tant, nous lui demandons de s’expliquer, de répondre. Pourquoi? Oui, pourquoi? [9]».
Parmi les explications avancées pour justifier le comportement du général de Gaulle, un journaliste du Midi Libre y voit les conséquences d’un moment «d’exaltation» : «il est évident, écrit-il, que lors de ses arrêts dans les villes et les villages [...], le Général a été vivement ému par les souvenirs historiques des premiers établissements français du XVIIe siècle. Chaque fois qu’il avait pris la parole, il avait bien insisté sur le particularisme canadien français des Québécois». Et de conclure : «C’est donc en pleine exaltation de la foule et lui-même exalté par l’enthousiasme populaire que le Général s’est trouvé porté par le mouvement vers le balcon de l’Hôtel de ville de Montréalx». De nombreux observateurs mettent toutefois en avant l’anti-américanisme du président. «Tonitruante incartade» titre un éditorialiste, qui se demande, en vain, «quelle peut bien être, pour la France, l’utilité de ce voyage, si scandaleusement sensationnel?». Il continue : «ayant attisé, de son mieux, les difficultés internes du Canada, et tenté de dresser contre Ottawa et les États-Unis, les Canadiens français, le président [...] a méconnu les lois et devoirs de l’hospitalité comme la décence des relations internationales. [Ainsi] il assouvit sa haine des États-Unis et, de façon plus générale, sa rancune à l’égard de tous ceux qu’il qualifie "d’Anglo-Saxons" [11]». Le quotidien l’Aurore dresse le même bilan et affirme que l’hégémonie anglaise au Canada n’est pour de Gaulle qu’une préoccupation secondaire : «Ce qui le tracasse tout autrement [...] c’est, comme nul ne l’ignore, l’hégémonie américaine. C’est sa phobie. Seulement, cette prétendue hégémonie qui, aux yeux du général est la grande menace pesant sur le monde, tracasse-t-elle pareillement les Canadiens français? Cette phobie, sont-ils si disposés à la partager? [12]».
Au sein de la classe politique française, la conduite du général de Gaulle est condamnée par les partis d’opposition. Gaston Deferre, qui dirige les députés socialistes à l’Assemblée nationale, affirme que le président de la République «a mis la France dans une situation ridicule». Valéry Giscard d’Estaing, chef du parti centriste, dénonce les dangers d’un «exercice solitaire du pouvoir».
Le 31 juillet, un communiqué officiel, rédigé par de Gaulle, est publié à l’issue du conseil des ministres. Loin de revenir sur ses propos, de Gaulle enfonce le clou : témoin de la volonté des Canadiens français de «devenir maîtres de leur propre progrès» et de «l’immense ferveur française manifestée partout à son passage», le président de la République déclare qu’il a voulu marquer «sans équivoque aux Canadiens français et à leur gouvernement que la France entendait les aider à atteindre les buts libérateurs qu’eux-mêmes se sont fixés [13]».
Les commentaires du général de Gaulle suscitent, une nouvelle fois, de vives protestations. Selon le Figaro, le chef de l’État a défini «en quelque sorte une véritable doctrine d’ingérence française dans les affaires canadiennes [14]». Un éditorialiste du Monde écrit que «pour apporter toute l’aide fraternelle que les [Canadiens français] sont en droit d’attendre, il y a mieux à faire que ce tapage, cette caricature de "Realpolitik", dont le fondement le plus réel est un égocentrisme à forme nationaliste, une hostilité exaspérée contre les Anglo-Saxons et la jubilation d’un vieillard expert à provoquer l’acclamation des foules [15]».
Dans l’opinion publique française, le voyage du général de Gaulle sera tout aussi sévèrement critiqué. Un sondage réalisé auprès de Parisiens révèle que 56% des répondants condamnaient l’attitude du président de la République, qui ne recueillait guère que 27% d’opinion favorable [16]. Le «Vive le Québec libre» lancé du balcon de l’hôtel de ville de Montréal a donc marqué une première rupture entre la population et son dirigeant, et ce fossé s’agrandira quelques mois plus tard, alors que de Gaulle devra faire face à la fronde étudiante et aux grèves lors des évènements de mai 1968.
En dépit du tollé qu’il a provoqué, de Gaulle, comme il l’a promis lors de son séjour au Québec, fait de la politique de coopération une priorité. L’action de la France doit être «d’envergure», affirme-t-il à ses conseillers, et doit concerner tous les secteurs d’activité, en particulier dans le domaine des technologies de pointe – spatiale, atomique, électronique [17]. Le 29 juillet, le président convoque Alain Peyrefitte, nommé quelques mois plus tôt ministre de l’Éducation nationale, et lui donne ses instructions :
Il faudrait que dans les quinze jours ou trois semaines vous vous rendiez au Québec. Nous avons fait une percée. Maintenant, il faut occuper le terrain. Je vous en charge. Les Québécois ont besoin de professeurs, d’instituteurs, de puéricultrices. Il faut qu’ils se remettent dans le circuit du français universel. Ils le souhaitent, mais ils n’en ont pas les moyens par eux-mêmes. Les ententes que nous avons signées avec eux ces dernières années vont dans le bon sens, mais c’est encore très insuffisant. Il faut leur prêter massivement nos enseignants, accueillir massivement leurs étudiants. C’est votre affaire. Il faut tout couvrir, l’éducation, la culture, la technique, la recherche scientifique, la jeunesse, la télévision. Et quand ce programme sera prêt, vous irez le présenter à Johnson [18].
Alain Peyrefitte et Bernard Dorin, devenu conseiller diplomatique au ministère de l’Éducation nationale, s’attèlent à la préparation de ce nouvel accord de coopération. Durant l’été, Dorin élabore un programme ambitieux, comprenant une vingtaine de mesures, principalement dans le domaine de l’éducation.
Sur la base de ces propositions, un projet d’accord est présenté le 23 août au conseil des ministres. De Gaulle réaffirme sa ligne de conduite : «Nous ne pouvons pas coopérer avec le Québec comme avec n’importe quel autre pays; ce cas unique doit être privilégié. En plus, il nous faut aider les Québécois à se constituer un État et une fonction publique». Dans les jours qui suivent, vingt-cinq propositions sont adoptées et chiffrées. Le texte est entériné lors d’un conseil restreint, le 1er septembre 1967. À l’issue de la réunion, de Gaulle confirme à Peyrefitte qu’il dispose des pleins pouvoirs pour conclure de nouvelles ententes avec le gouvernement québécois.
Le 10 septembre, la délégation conduite par Peyrefitte entame son séjour au Québec. Accueilli par le ministre de l’Éducation, Marcel Masse, Peyrefitte est conduit auprès du premier ministre Johnson, en convalescence après une attaque cardiaque. Pendant leur rencontre, Johnson donne son accord aux diverses mesures proposées par Peyreffite. Ce dernier évoque ensuite deux propositions formulées par de Gaulle. Tout d’abord, la France souhaitait offrir l’opportunité au Québec de participer à la Conférence des ministres de l’Éducation francophones, la CONFEMEN, qui devait se tenir en février 1968 à Libreville, au Gabon. S’inspirant du modèle des relations franco-allemandes, de Gaulle souhaitait ensuite l’instauration de rencontres annuelles entre leurs deux gouvernements : il proposait ainsi qu’une fois par an, le premier ministre et son cabinet se rendent à Paris, et que, six mois plus tard, le président de la République et les principaux ministres de son gouvernement viennent au Québec. Encore marqué par les évènements de la fin juillet, Johnson manifesta poliment son refus en ajoutant : «le président va trop vite pour nous… il brûle les étapes. L’heure n’est pas à l’aventure, mais aux atermoiements [19]».
Le 14 septembre 1967, Daniel Johnson et Alain Peyrefitte signent un procès-verbal, officialisant les vingt-cinq mesures adoptées [20]. Dans ce nouvel accord, le gouvernement français fait part de son intention de multiplier par huit sa contribution financière dans le cadre d’un vaste programme triennal : de 5 millions de francs en 1967, les crédits engagés passeront à 24,8 millions francs dès l’année suivante, pour atteindre 40 millions de francs en 1970. Dans le domaine de l’éducation, la France s’engage à dépêcher, dans les trois ans, jusqu’à un millier de professeurs dans les écoles québécoises, dans la mesure où des demandes lui seraient adressées. Pour encourager l’échange de fonctionnaires, il est décidé que des professeurs et des administrateurs québécois pourront bénéficier de stages au sein de l’Institut national d’administration scolaire et de l’Inspection générale de l’Éducation nationale.
Dans l’enseignement supérieur, le procès-verbal annonce que le nombre de bourses accordées par la France aux étudiants québécois sera porté à un millier en 1970. Réciproquement, le gouvernement québécois s’engageait à accroître le nombre de bourses offertes à des étudiants français. Il est également prévu l’ouverture de chaires de littérature et de civilisation canadienne-françaises dans l’Hexagone, pour accueillir des universitaires québécois invités en qualité de professeur associé.
Parmi les autres mesures adoptées figurent la création d’un organisme pour les échanges de jeunes, le futur Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ), ainsi que d’un Centre franco-québécois de recherche scientifique et technique, pour faciliter les échanges d’informations entre les deux communautés scientifiques et augmenter la mobilité des chercheurs. Pour accroître la fourniture de programmes de radiodiffusion et de télévision, la France annonce l’ouverture d’un bureau de l’ORTF à Montréal. Il est également prévu de favoriser l’envoi et la distribution des livres et des films français outre-Atlantique, ainsi que les dons réciproques de fonds de bibliothèques. Le dernier point du procès-verbal stipule, enfin, que les deux gouvernements s’engageaient à favoriser les initiatives ayant pour objet de promouvoir l’universalité et l’unité de la langue française.
Après la signature des premières ententes en 1965, qui ont permis d’institutionnaliser la coopération franco-québécoise, les accords Peyrefitte-Johnson marquent une réelle accélération des échanges bilatéraux. Grâce aux sommes importantes allouées à la coopération, d’ambitieux programmes d’échanges verront le jour les années suivantes, particulièrement dans le domaine de l’éducation.
Un autre gain politique majeur pour le Québec réside dans son intégration au sein des premières instances de la francophonie. Cette idée est à mettre au crédit du président de Gaulle qui comptait demander aux autorités gabonaises de faire parvenir une invitation au gouvernement du Québec, afin que celui-ci puisse prendre part à la Conférence des ministres de l’Éducation (CONFEMEN), organisée en février 1968 à Libreville. Cet organisme multilatéral, qui regroupait la France et ses anciennes colonies africaines, ainsi que d’autres États francophones comme le Liban, traitait des questions de coopération en éducation, et représente le premier noyau de la Francophonie institutionnelle telle qu’on la connaît aujourd’hui sous la forme de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie).
De Gaulle avait demandé à Alain Peyrefitte de soumettre ce projet à Johnson lors de son voyage en septembre 1967. Le premier ministre ayant donné son accord, Claude Morin se rend chez l’ambassadeur de France à Ottawa, François Leduc, le 21 décembre 1967, pour lui faire part de la décision de Johnson [21]. À Paris, cette idée se heurte au refus catégorique du Quai d’Orsay et de Maurice Couve de Murville, peu enclin à raviver les conflits avec les autorités canadiennes. La question est une fois de plus tranchée par une note de l’Élysée, datée du 27 décembre 1967 : «Il y a lieu d’aider le Québec à participer à la conférence de Libreville; par contre, Ottawa n’y serait pas actuellement désirable [22]». Placé devant le fait accompli, Couve de Murville envoie l’ordre à son ambassadeur à Libreville de faire inviter le ministre québécois de l’Éducation par les autorités gabonaises : le 17 janvier 1968, Claude Morin reçoit la convocation adressée à Jean-Guy Cardinal, pour la conférence qui doit se dérouler du 5 au 10 février suivant.
Grâce à l’appui des autorités françaises, le Québec recevait ainsi l’opportunité de siéger parmi des représentants de nations souveraines. Pour les autorités fédérales, la situation est devenue intolérable : l’accueil réservé à Jean-Guy Cardinal, traité avec les mêmes égards qu’Alain Peyrefitte, ou le fleurdelisé flottant au milieu des drapeaux des autres États sont autant d’images insupportables aux yeux d’Ottawa, qui annonce le 4 mars 1968 la rupture de ses relations diplomatiques avec le Gabon.
La participation du Québec à la conférence de Libreville en février 1968, et à celle de Paris, un mois plus tard, pour le deuxième volet de la réunion, constitue un exploit qui ne sera pas réédité : l’année suivante, lors de la conférence de Kinshasa en janvier 1969, le Canada sera invité par les autorités congolaises et le président Mobutu.
Après d’âpres discussions entre Pierre Trudeau et le premier ministre Jean-Jacques Bertrand, qui a succédé à Johnson, une représentation canadienne est mise sur pied, coprésidée par le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Louis Robichaud, et par Jean-Marie Morin, ministre d’État à l’Éducation du Québec : le ministre en titre, Jean-Guy Cardinal, avait refusé de se rendre à une conférence à laquelle participerait Ottawa [23].
Par la suite, la France permettra l’entrée du Québec au sein de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), créée en 1970 à Niamey. Alors que le texte initial ne prévoyait que la participation de pays souverains, Paris soumettra l’idée d’y intégrer des associations et des organismes gouvernementaux, ouvrant ainsi la porte à une participation québécoise à l’ACCT. Malgré l’opposition d’Ottawa, le Québec obtiendra le statut de «gouvernement participant» et fera son entrée dans l’organisation francophone en son nom propre grâce à l’article 3 alinéa 3, communément appelé «clause Québec» et qui stipule que des gouvernements provinciaux peuvent être admis comme gouvernement participant aux institutions, aux activités et aux programmes de l’Agence, sous réserve de l’approbation de l’État central. Malgré les efforts déployés par Ottawa pour exclure le Québec de l’ACCT, celui-ci a donc réussi à Niamey une nouvelle percée dans le domaine des relations internationales.
Les retombées de la visite du général de Gaulle ont donc été nombreuses pour le Québec. En France, malgré les réactions négatives engendrées par son voyage au Canada, de Gaulle va exprimer une dernière fois son opinion lors d’une conférence de presse, le 27 novembre 1967. Prônant un changement complet de la structure canadienne, il affirme que cela allait forcément aboutir «à l’avènement du Québec au rang d’un État souverain, maître de son existence nationale, comme sont par le monde tant et tant d’autres peuples, tant et tant d’autres États qui ne sont pourtant pas si viables ni même si peuplés que ne serait celui-là». Il continue : «Bien entendu, cet État du Québec aurait à régler librement et en égal avec le reste du Canada, les modalités de leur coopération […]. Mais on ne voit pas comment les choses pourraient aboutir autrement; et, du reste, si tel est leur aboutissement, il va de soi que la France est toute prête, avec un ensemble canadien qui prendrait un caractère nouveau, à entretenir les meilleures relations possibles [24]». Quelques mois plus tard, de Gaulle quittera la politique. Le 28 avril 1969, il démissionne de ses fonctions, après onze ans de présidence. Il décèdera quelques mois plus tard, le 9 novembre 1970, à sa résidence de Colombey-les-deux-Églises.
Samy Mesli, historien
1. Marine Lefèvre, Charles de Gaulle. Du Canada français au Québec, Montréal, Leméac, 2007, p. 136.
2. Christophe Tardieu, La dette de Louis XV, Paris, Les Éditions du Cerf, 2017, p. 134.
3. Cité par Christophe Tardieu, op. cit., p. 137.
4. «Des paroles de vérité, un message d’espoir», Le Devoir, 27 juillet 1967.
5. «Bilan d’une visite», Le Devoir, 27 juillet 1967. «Des paroles de vérité, un message d’espoir», Le Devoir, 27 juillet 1967.
6. André Duchesne, La traversée du Colbert. De Gaulle au Québec en juillet 1967, Montréal, Boréal, 2017, p. 253.
7. Pierre Godin, Daniel Johnson : la difficile recherche de l'égalité, 1964-1968, Montréal, Éditions de l’Homme, 1980, p. 244.
8. «Du triomphe à l’échec», Midi Libre, 27 juillet 1967.
9. «Pourquoi?», Le Figaro, 27 juillet 1967.
10. «Le voyage de de Gaulle au Québec», Midi Libre, 26 juillet 1967.
11. «Tonitruante incartade», Le Méridional, 27 juillet 1967.
12. «L’hégémonie américaine est la phobie de De Gaulle», L’Aurore, 25 juillet 1967.
13. «La déclaration du Conseil sur le voyage au Canada», Le Méridional, 1er août 1967.
14. N. Châtelain, «Le "Premier" canadien a longtemps hésité avant de répliquer à la déclaration de de Gaulle, Le Figaro, 2 août 1967.
15. Sirius, «L’irréalisme d’une "Realpolitik"», Le Monde, 2 août 1967.
16. Dale C. Thomson, De Gaulle et le Québec, Éditions du Trécarré, Saint-Laurent, 1990, p. 283.
17. Cité par Maurice Vaïsse, La grandeur, Paris, Fayard, 1998, p. 665.
18. Alain Peyrefitte, De Gaulle et le Québec, Montréal, Stanké, 2000, p. 68.
19. Cité par Pierre Godin, Daniel Johnson : la difficile recherche de l'égalité, 1964-1968, Montréal, Éditions de l'Homme, 1980, p. 255.
20. Procès-verbal des décisions arrêtées entre MM. Daniel Johnson et M. Alain Peyrefitte, ministre de l’Éducation nationale, représentant le gouvernement français, Québec, 14 septembre 1967.
21. C. Morin, op. cit., pp. 116-117.
22. A. Peyreffite, op. cit., p. 111.
23. C. Morin, op. cit., pp. 145-157.
24. Le texte de la conférence de presse du 27 novembre 1967 est reproduit dans l’ouvrage de R. Lescop, op. cit., pp. 185-189.